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mercredi 29 janvier 2014

Belém - Edyr Augusto (Asphalte) LA grande révélaton du roman noir !

Présentation de l'éditeur :

Johnny, célèbre coiffeur de la jet-set de Belém et habitué de la presse people, est retrouvé mort à son domicile, visiblement d’un arrêt cardiaque dû à une overdose. Mais le jeune inspecteur chargé de l’enquête, Gilberto Castro, trouve sur les lieux des vidéos et des photos compromettantes des ébats du défunt, impliquant des enfants… Tâchant d’en apprendre plus, Gilberto se mêle aux amis de Johnny, tous issus de la classe supérieure de Belém, et commence à soupçonner que la mort du coiffeur n’a rien d’accidentel. Malheureusement, sa rencontre avec l’une des proches du défunt, Selma, oiseau de nuit assoiffée de fêtes et d’excès, risque bien de le détourner de son but et de le faire replonger dans son ancien vice, l’alcoolisme… Belém nous fait découvrir le côté sombre de la "cité des manguiers", métropole brésilienne située à l’estuaire de l’Amazone.
Trafic de drogues, proxénétisme, pédophilie, corruption : avec un réalisme cru, Edyr Augusto peint le portrait terrible d’une classe supérieure sans scrupule qui se nourrit des plus faibles. Une critique sociale rageuse portée par une écriture directe et nerveuse.

L'auteur Né en 1954 à Belém, Edyr Augusto est journaliste, poète et dramaturge.
Belém, son premier roman, a été publié dans son pays en 1998. D'autres titres ont suivi, dont Moscow (2001), à paraître chez Asphalte en 2014. Très attaché à sa région, l'État de Pará au nord du Brésil, il y ancre tous ses récits.

>> Source : www.asphalte-editions.com


>> COUP DE COEUR !

Mon avis : Sombre, violent et addictif, un véritable diamant noir d'une intensité dévastatrice !

 L'écriture est habile, fluide et directe, toujours empreinte d'un réalisme implacable, cru, parfois dérangeant lorsque l'horreur est montrée sans fard, et pourtant dépourvu de surenchère - la cruauté sans borne de nombreux trafiquants sud-américains ne relèvent malheureusement pas de la légende.
L'intrigue, menée sur un rythme qui ne faiblit jamais, parvient pourtant à montrer à quel point la ville a une influence capitale et néfaste sur la vie et le parcours des personnages, réduits pour l'immense majorité à l'état de chair humaine à louer, à vendre ou à exploiter. le poids de la corruption pèse comme une chape de plomb indestructible sur une cité gangrénée par la pauvreté, où l'argent est la seule valeur reconnue alors que la vie d'un être humain ne vaut pas plus que l'éventuel bénéfice financier ou sexuel dont on peut en tirer.
Loin de jouer les guides touristiques, Edyr Augusto écrit avec rage et dénonce l'inhumanité de cette mégapole où il a toujours vécu, certainement parce que l'écriture représente le dernier et seul moyen qu'il a pour espérer ne serait-ce que "faire quelque chose", ne pas se résigner.
Le résultat est plus qu'un polar unique et fascinant. Belém brille comme un diamant noir encore un peu brut, dont certaines facettes possèderaient un éclat éblouissant, profond et unique, là où d'autres montreraient une noirceur plus sourde, plus rugueuse, plus abrupte et plus sale aussi, à l'image de certains personnages dont l'humanité a clairement marqué le pas et reculé face à la bestialité.
Et puis il y a cette noirceur toxique qui semble imprégner de plus en plus le déroulement et l'atmosphère de ce roman, les actes de ses personnages, dans un crescendo asphyxiant. Pourtant, Edyr Augusto n'en délaisse pas pour autant son intrigue.
Le premier chapitre, en cela, est trompeur, qui semble donner lieu à une enquête classique sur la mort par arrêt cardiaque dans son appartement d'un coiffeur de la jet-set, aimé de tous ses amis. Bien sûr, il y a les coupelles de cocaïne qui l'entourent et qui auront pu précipiter l'accident, mais si Gilberto Castro, membre de la police locale censé incarner le renouveau de celle-ci qui se retrouve chargé de l'affaire, en croit la domestique du coiffeur, celui-ci était « un homme bien ». Ce qu'elle persiste à affirmer même quand, peu après, Castro découvre un meuble chez la victime rempli de photos et de vidéos pédopornographiques, qui prouvent que le coiffeur aimait à se filmer lorsqu'il violait des enfants, y compris sa nièce, la fille d'une de ses amies de la jet-set.
Avec un tel chapitre, on pourrait croire le roman déjà balisé, or Gilberto Castro va être confronté à bien d'autres évènements, et s'enfoncer au fur et à mesure dans une trame aux multiples ramifications qui va vite prendre l'allure d'un cauchemar éveillé.

Avec ses portraits de personnages fascinants, son rythme trépidant, sa noirceur brutale mais réaliste, on dévore ce roman exceptionnel comme emporté par son ambiance vénéneuse.
C'est aussi tout ce qui fait la force, la puissance et l'intensité rares de ce chef d'oeuvre vénéneux et envoûtant.
Belém est l'une des grandes révélations du roman noir de cet hiver, et je languis déjà le 6 février prochain la parution de Moscow, le second roman d'Edyr Augusto.
Il est difficile de ressortir de Belém indemne. Ce n'est pas un roman noir qui cherche à être aimable - il ne l'est pas - mais il irradie une force et une intensité uniques et dévastatrices.
C'est incontestablement l'une de mes lectures les plus fortes et inoubliables de l'année.
J'en suis sorti en état de choc, avant de me retrouver en état de manque et de plus savoir quel livre ouvrir pendant deux semaines !
C'est ce qu'on appelle une pépite, et en l'occurrence un véritable bijou de littérature noire, qu marque les esprits... et qui fait mal.

PS : Je remercie infiniment les éditions Asphalte  et Babelio pour cette magnifique et inoubliable découverte.


Belém de Edyr Augusto (Os éguas, 1998), traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos, éditions Asphalte, coll. Fictions, 2013.


http://asphalte-editions.com/?page=accueil

vendredi 7 juin 2013

Mort-en-direct.com de John Katzenbach (Presses de la Cité) : Plus qu'un chef d'oeuvre de suspense psychologique, un roman noir visionnaire et précurseur !


Présentation de l'éditeur (facultative) :
« Pour retrouver la victime d'un snuff movie, un professeur de psychologie doit faire équipe avec un pédophile.

Adrian, professeur de psychologie, apprend qu'il est atteint d'une maladie dégénérative du cerveau. Ce mal incurable provoque des hallucinations, au cours desquelles il converse avec les membres de sa famille décédés : sa femme, son fils et son frère mort au Vietnam.
Un soir, il voit une jeune fille se faire embarquer de force dans une camionnette. Il est le seul à croire à un enlèvement.
Il découvre bientôt que la victime est séquestrée dans une cave et filmée vingt-quatre heure sur vingt-quatre par un couple réalisant des snuff movies.
Mais, sans l'aide de la police, Adrian doit, pour la sauver, faire appel à un spécialiste des réseaux souterrains et illégaux : un pervers sexuel en liberté surveillée.
Adrian la retrouvera-t-il avant de sombrer dans la folie ? »
 « Ce polar habilement mené évite la facilité et en suggère plus qu'il ne montre. » La Croix

« Mort-en-direct.com joue avec nos nerfs en superposant plusieurs suspenses. » Le Républicain Lorrain

« Une fois encore, l'auteur de L'Analyste, Grand prix de littérature policière en 2004, frappe fort. » Métro


source : www.pressesdelacite.com
Lire les premières pages ici

L'auteur : Né en 1950, John Katzenbach a longtemps tenu la chronique judiciaire de divers quotidiens et magazines, couvrant en particulier le procès de Ted Bundy, l'un des plus grands meurtriers en série de l'histoire américaine.
Cette expérience lui a inspiré de nombreux romans à succès comme L'Affaire du lieutenant Scott et Une histoire de fous.
Plusieurs de ses livres, dont Un été pourri et Juste cause, ont été adaptés au cinéma.
L'Analyste, son chef d'oeuvre, Grand Prix de littérature policière 2004, vient d'être réédité par les Presses de la Cité, en même temps que Mort-en-direct.com.

Site de l'auteur : www.johnkatzenbach.com

Gros coup de coeur du Pro du polar :
Le maître du suspense psychologique a encore frappé avec cet opus!!! Avec un sujet particulièrement difficile, l’auteur sait nous manipuler avec des thèmes forts et dérangeants pour la psyché humaine et une certaine dextérité pour ne pas sombrer dans la folie… La prose et l’écriture du roman servent grandement à la subtilité du style de l’auteur… EN CONCLUSION: Suspense Magistral pour un auteur de grand talent. 
Ce que j'en ai pensé :
Il serait peut-être temps de poster mon avis aussi sur ce blog, me disais-je jusqu'alors. Le problème avec ce genre de monument qu'on a tant aimé, c'est à la fois d'essayer de partager son propre coup de coeur, sans pour autant en déflorer l'intrigue. Depuis au moins un mois, je pensais à poster avant toute autre chose cet extrait particulièrement significatif, puisqu'il résume bien une partie des questions que le lecteur est amené à se poser dès le 5e chapitre, et montre déjà suffisamment d'éléments en ce qui concerne la victime pour que ceux qui s'attendraient à un déluge de sang voire de sexe, qui seraient ici plus que malvenus, ne soit pas tentés d'aller plus loin. John Katzenbach analyse ici un nouveau profil criminel absolument unique, ce qui d'ailleurs suffirait à faire de Mort-en-direct.com le roman noir précurseur du XXIè siècle, l'un de ses polars que l'on pourra ressortir dans quelques années, ou plutôt même quelques décennies, sans aucun problème.
Sauf qu'il est fait pour être lu aujourd'hui. Pour tenter aussi, en plus du délicieux frisson d'effroi qui nous fait dresser les cheveux sur la tête, de nous alerter sur les dérives d'une société et d'une génération nourrie exclusivement à la télé-réalité, aux flux d'images continus diffusés via internet ou les chaînes d'info spécialisées, ainsi que sur cet étrange et inquiétant phénomène qui fait que certains semblent ne pouvoir vivre que par procuration, via ces images et, par conséquent, l'objectif d'un appareil photo ou d'une caméra vidéo. Où chacun croit son heure de gloire venue parce qu'il aura su ou pu filmer quelque chose de "bankable", même si pour cela les situations ou les êtres humains qui se trouvent de l'autre côté de la caméra, ne deviennent qu'à leurs yeux des poupées désincarnées...
Petit "replay", donc, sur une chronique publiée sur le site Polars Pourpres, il y a déjà... près d'un mois et demi, alors que pourtant, même à l'époque, je désespérais d'avance de pouvoir faire un commentaire à peu près valable sur cet immense roman noir de John Katzenbach, ce virtuose du suspense psychologique :

Parfois, il y a des situations ou des sujets tellement extrêmes, tellement paradoxaux, mais aussi profonds que fascinants pour chacun d'entre eux , que les mots ne peuvent pas tout. Tant pour l'auteur que pour le lecteur, seule l'imagination peut alors permettre de les envisager, tous, d'une manière aussi brillante et sérieuse, certes, mais aussi de manière tout aussi vraisemblable et crédible que possible.

Parce que John Katzenbach est parvenu a un tel niveau au bout d'une trentaine d'années de carrière, alors il aura pu réussir cet improbable challenge, cette invraisemblable réussite.
Il faut, déjà, oublier à quel point L'Analyste ou Une Histoire de fous étaient, eux aussi, il y a déjà près du décennie, brillants et uniques.

Seuls ceux qui sauront prendre le temps de lire son nouveau roman avant tout pour ce qu'il est, et restera toujours, autrement dit un monument du roman noir - c'est-à-dire une littérature populaire, à destination du plus grand public et non de je-ne-sais quels experts -, seuls ceux-là auront donc la disponibilité nécessaire pour simplement apprécier un bon livre, et alors savourer ce nouveau Katzenbach à sa juste valeur.
Celle, non pas du thriller du moment - puisqu'il le sera toujours dans 10 ans - mais, très certainement aussi, de par l'ampleur et l'exactitude des sujets abordés, celle d''un - déjà - grand classique, d'un véritable chef d'oeuvre.

Et je pèse mes mots. Je n'ai jamais rien lu de tel.

Mais justement aussi parce qu'il est d'une brûlante actualité, je n'espère pas non plus avoir l'occasion de relire à l'avenir trop de polars qui aborderont ce type de sujets.
Encore moins mêlés les uns aux autres.
Peu d'auteurs me semblent capables de réussir ce que John Katzenbach sera, malgré tout, parvenu à atteindre avec Mort-en-direct.com.

Le monde est malade, la société plus déviante que jamais, et il m'étonnerait que je puisse découvrir tant de sujets aussi intéressants les uns que les autres, aussi magistralement traités que dans ce grand moment de littérature.
Evidemment qu'il faut le lire.
Ne serait-ce que pour comprendre à quel point nous en sommes arrivés.

Inoubliable, unique, sans la moindre scène de torture, de meurtre ou de sexe qui soit explicite, John Katzenbach s'est déjà inscrit parmi les grands mais rares écrivains de ce - décidément - si noir XXIème siècle.

Un immense roman dont il est absolument impossible de ressortir psychologiquement indemne. On en ressort différent, autre.

Voilà ce dont un écrivain comme Katzenbach est capable d'offrir à son lecteur, comme mise à jour d'une vision du monde actuelle - mais tel qu'il est vraiment.
Une vision, forcément, d'une noirceur d'autant plus infinie qu'elle est également parfaitement pertinente et crédible. Et donc, à tout point de vue, plus que jamais vraisemblable.

Ce roman est aussi et avant tout, il faut le dire, bien plus qu'un simple roman : c'est un véritable choc.

Mais il aurait de toute façon fallu qu'un jour, un écrivain s'y attèle enfin.
John Katzenbach l'aura fait, et c'est en cela, justement, qu'il est déjà et qu'il restera, quoiqu'il arrive, un immense écrivain et un auteur culte.


Pour terminer, mieux vaut à mon avis ne pas tenter de lire Mort-en-direct.com d'une traite, comme n'importe quel autre polar.
Ce serait à mon avis une erreur, parce que ce serait prendre le risque de saturer au bout de la centième page.
Il faut comprendre que l'alchimie complexe de ce roman demande, simplement, un minimum d'attention et de disponibilité du lecteur.
Ne le lisez pas non plus en même temps qu'un autre, car là aussi, du coup, ça pourrait tout gâcher, de la même manière.

Et pourtant, ce n'est même pas que ce thriller soit complexe, trop savant ou trop touffu : au contraire, même.

Mais qui voudrait boire une bouteille de whisky cul-sec ?
Et à quoi bon ? Pour en gerber ?

Ouvrez plutôt simplement ce livre, commencez-le, puis, au bout d'un moment, contentez-vous de le refermer, et de passer à autre chose. Jusqu'au lendemain, par exemple.

Si je donne ces indications qui peuvent paraître stupides, c'est juste pour vous éviter de passer à côté. Personnellement, faites comme vous le sentez, je m'en fiche, chacun jugera
.
C'est juste, aussi, qu'à moins avis, pour être à son tour saisi par ce suspense d'une intensité rare, il faut aussi savoir laisser la magie opérer. Tout simplement.

Et là, selon votre propre expérience, votre propre vécu, votre âge, vous aussi, vous pourrez alors être définitivement marqués par ce roman, noir et unique en son genre, de Katzenbach.

Alors, le suspense agira tout simplement comme le venin mortel et foudroyant d'un serpent rare. Avec une implacable efficacité.
C'est tout simplement diabolique. Et dangereux. Mais ô combien indispensable !

 Mort-en-direct.com, de John Katzenbach (What comes next, 2012), Presses de la Cité, coll. Sang d'encre 2012, traduction de l'américain par Jean-Charles Provost, 540 pages, 22,50 euros.

« Mort-en-direct.com » de John Katzenbach (Presses de la Cité) : Extrait/Chronique d'un chef d'oeuvre noir et visionnaire !

Avant de vous parler plus longuement de ce nouveau chef d'oeuvre de John Katzenbach, ce virtuose quasiment inégalé en suspense psychologique - et déjà auteur il y a dix ans du mémorable L'Analyste (Grand Prix de Littérature Policière 2004), deux ans plus tard du stupéfiant roman noir psychologique et même psychiatrique Une histoire de fous, et en 2007 du plus classique mais toujours captivant Faux coupable, tous publiés en France dans la collection Sang d'encre des Presses de la Cité -, je voulais vous en donner un petit aperçu, un extrait. Histoire surtout et avant tout de tordre le coup aux réactions d'effroi voire de recul face à un titre et un résumé en 4e de couverture qui semblent accumuler les pires clichés racoleurs, là où, un peu mieux présenté par l'éditeur (ou avec plus de tact ?), à mon avis beaucoup plus de lecteurs se seraient certainement laissés séduire par ce roman noir et visionnaire qui nous épargne pourtant toutes les scènes gore ou sexuelles
qui viennent à l'esprit à la vue d'un tel livre chez son libraire. Heureusement que je connaissais moi-même Katzenbach, et que j'en suis d'ailleurs un grand fan, et donc que je savais qu'avec lui,  seules la subtilité du propos n'égale l'intensité du suspense et la maîtrise de la construction. Et pourtant, ô surprise, Mort-en-direct.com a dépassé toutes mes attentes !...

Extrait :

« Au début, peu de participants à la soirée prêtaient attention aux images muettes qui défilaient sur l'immense écran plat, fixé sur le mur du penthouse dominant le parc Gorki. Il s'agissait de la rediffusion d'un match de football opposant le Dynamo Kiev au Lokomotiv Moscou. Un homme pourvu d'une moustache à la Fu Manchu leva la main pour demander à l'assistance de faire silence. Quelqu'un coupa le son de la demi-douzaine d'enceintes dissimulées dans les murs, qui déversaient une techno assourdissante. L'homme portait un costume noir hors de prix, une chemise de soie violette déboutonnée et des bijoux en or, y compris l'inévitable Rolex au poignet. Dans ce monde moderne où les gangsters et les hommes d'affaires ont la même allure, il aurait pu appartenir à n'importe laquelle de ces deux catégories. À ses côtés, une femme mince de vingt ans au moins sa cadette - coiffure et jambes de mannequin, robe du soir ample à paillettes qui ne cachait pas grand-chose de sa silhouette androgyne - déclara en russe, en français et en allemand :
_ Nous avons appris qu'une nouvelle saison de notre série en ligne préférée commence ce soir. Cela devrait intéresser fortement nombre d'entre vous.
Elle se tut. Le groupe se serra autour de l'écran, les uns vautrés dans des canapés confortables, les autres perchés sur des chaises. Une grande flèche « Lecture » apparut sur l'écran. L'hôte déplaça un curseur et cliqua sur la souris. Dela musique retentit. L'Hymne à la joie, de Beethoven, joué au synthétiseur. Apparut ensuite une image d'un très jeune Malcom McDowell, dans le rôle d'Alex, dans Orange mécanique, de Stanley Kubrick. Il tenait un couteau. Son image dominait l'écran. Il avait les yeux maquillés et portait la combinaison de saut blanche, les bottes ferrées et le melon noir qui l'avaient rendu célèbre au début des années soixante-dix. Cette image suscita une vague d'applaudissements : les participants les plus âgés se rappelaient le livre, le film, et la performance de McDowell.
L'image du jeune Alex disparut, laissant un écran noir qui semblait vibrer d'impatience. Quelques secondes plus tard, une phrase en grandes lettres italiques rouges s'afficha, coupant le cadre en deux comme une lame de couteau : MORT EN DIRECT, puis un fondu enchaîné amenant une nouvelle information : SAISON 4.
L'image laissa la place à un autre plan, au grain bizarre, montrant une pièce presque carrée - une chambre grise, dénuée de tout. Pas de fenêtres. Aucun indice de l'endroit où elle se trouvait. Un lieu absolument anonyme. Tout d'abord, les spectateurs ne virent qu'un vieux lit métallique. Une jeune femme en sous-vêtements y était allongée, la tête dissimulée sous une cagoule noire. Ses mains menottées étaient attachées à des anneaux fixés au mur derrière elle, comme dans un cachot. Elle avait les chevilles liées entre elles et attachées au cadre du lit.
La jeune fille était totalement immobile, mais elle respirait lourdement, ce qui indiquait aux spectateurs qu'elle était vivante. Elle aurait pu être inconsciente, droguée ou endormie, mais, après environ trente secondes, elle s'agita, et une de ses chaînes fit entendre un bruit métallique.
Un des invités soupira. Quelqu'un demanda en français :
_ Est-ce réel ?
Personne ne lui répondit, sauf par le silence ou en tendant le cou pour espérer mieux voir.
_ C'est une performance, dit quelqu'un d'autre, en anglais. Ce doit être une actrice engagée spécialement pour l'émission...
La femme à la robe à paillettes jeta un coup d'oeil vers l'homme. Elle secoua la tête. Elle parlait un anglais impeccable, teinté d'un léger accent slave.
_ C'est ce que beaucoup croyaient, au début des saisons précédentes. Mais au fur et à mesure que les jours passent, on réalise qu'aucun comédien n'accepterait de jouer de tels rôles.
Elle regarda de nouveau l'écran. La femme à la cagoule frissonna, puis elle tourna brusquement la tête, comme si quelqu'un venait d'entrer dans la pièce, juste hors de la limite du cadre. Les spectateurs la virent tirer sur ses chaînes.
Presque aussi vite qu'elle était apparue, l'image se figea, comme le cliché d'un oiseau en plein vol. Il y eut un nouveau fondu au noir, et une question s'inscrivit sur l'écran, en lettres rouge sang : VOUS VOULEZ EN VOIR PLUS ?
Cette question était suivie d'un formulaire d'abonnement et d'une demande de numéro de carte de crédit. On pouvait acheter quelques minutes, une heure, ou plusieurs blocs d'une heure. On pouvait aussi acheter une journée, ou plus. On trouvait également une offre en grands caractères : SAISON 4, ACCES TOTAL AVEC FORUM INTERACTIF. Au bas de l'écran, un grand chronomètre électronique, également rouge vif, était réglé à 00:00. À côté : JOUR UN. Le chrono s'enclencha soudain et commença à marquer les secondes. Il évoquait l'horloge numérique qui indique le minutage des matchs de tennis à Wimbledon ou à l'US Open. Un peu plus loin étaient inscrits ces mots : DUREE PROBABLE DE LA SAISON 4 : ENTRE UNE SEMAINE ET UN MOIS.
_ Allez, Dimitri ! s'écria soudain quelqu'un en russe. Achète tout le bazar... du début à la fin ! Tu es assez riche !
Cette remarque provoqua des rires nerveux et des applaudissements. L'homme à la moustache se tourna d'abord vers l'assemblée, bras largement écartés, comme pour demander ce qu'il devait faire, puis il sourit, fit une petite révérence et composa le numéro d'une carte de crédit. L'écran lui demanda son mot de passe. Il fit un signe de tête à la femme à la robe à paillettes et lui montra le clavier. Avec un sourire, elle tapa quelques lettres. On pouvait imaginer qu'elle avait choisi le petit nom qu'elle lui réservait dans l'intimité. Souriant, le maître des lieux fit un geste, ordonnant à un serveur en veste blanche de remplir les verres. Ses invités richissimes s'installèrent dans un silence empreint de fascination, en attendant la confirmation électronique de la transaction.
D'autres, un peu partout dans le monde, attendaient également. »

Cet extrait, tout en lettres italiques, constitue le début du chapitre 5, page 42, de Mort-en-direct.com. D'autres paragraphes de ce type jalonnent le récit, et montre la surprenante diversité des clients et voyeurs potentiels de ce type de programme à travers le monde, mais aussi à travers les classes sociales. Car beaucoup plus qu'un "simple" monument de suspense psychologique, John Katzenbach nous a livré là, dès l'année dernière, un incroyable roman noir aussi glaçant que visionnaire, et même précurseur, de par le portrait unique qu'il brosse d'un jeune couple de tueurs en série qui n'ont même pas vraiment conscience de l'être, tant ils sont focalisés sur leur "création artistique". Voilà ce qui arrive, ou peut arriver, quand deux êtres dotés de talents mais aussi d'une part de ténèbres qui les habite depuis toujours se rencontrent. Heureusement, Katzenbach dresse un roman tout en nuances, et aborde bien d'autres thèmes brûlants d'actualité : l'absurdité des guerres impérialistes des Etats-Unis, que ce soit le Vietnam ou l'Irak, les maladies dégénératives du cerveau et leurs symptômes dévastateurs sur les malades, leur mémoire qui se dégrade avant de s'éteindre totalement, les dérives d'une société où non seulement chacun veut son quart d'heure de gloire, mais ne voit plus - pour ne pas dire : ne vit plus - qu'à travers un écran vidéo, le flux continu des images déversées autant par les chaînes d'info dédiée, internet et tous ses réseaux pseudo-sociaux, sans oublier les dérives de la télé-réalité. Et bien d'autres choses encore...
Son roman s'articule comme un grand film de cinéma. Contrairement à beaucoup de fabricants de best-sellers, il ne cherche pas forcément l'ultime rebondissement toutes les cinq pages. Il préfère user de son écriture précise et fluide pour enrôler son lecteur au fur et à mesure que les paragraphes puis les chapitres se succèdent, chacun fonctionnant plutôt exactement comme un mécanisme d'horlogerie magistralement conçu, et dont chaque cran actionné resserre un peu plus l'étau du suspense. Sans même s'en rendre compte, le lecteur, pour peu qu'il prenne le temps de lire ce beau bébé de 500 pages confortablement, sans forcément le faire d'une traite pour pouvoir mieux en savourer toutes les subtilités, se retrouve très vite pris à la gorge.
La nouvelle et formidable machinerie de peur et d'effroi de John Katzenbach dépasse de très loin nombre de polars à succès, adaptés ou pas à l'écran, suédois ou pas. C'est d'ailleurs bien dommage qu'en France il ne soit pas plus connu. J'ai toujours eu un faible pour les auteurs de noir qui ne cédaient pas forcément à la "facilité" de créer une série. Comme pour  Greg Iles par exemple, il préfère n'écrire qu'un roman que tous deux ou trois ans, et changer totalement de personnages et d'univers.
Comme pour ses précédents chefs d'oeuvre - si L'Analyste a eu la chance d'être réédité par les Presses de la Cité parce qu'il se vend toujours aussi bien dix ans après sa parution, ce n'est malheureusement pas le cas pour l'édition grand format d'Une histoire de fous : il faut se contenter de la version poche à la couverture hideuse de Pocket... Et sans même parler de tous ses autres romans écrits auparavant, et dont la même maison d'éditions qui en détient les droits ne semble pas juger bon de les rééditer, ceci expliquant certainement cela... (contrairement à ce qu'heureusement la plupart des autres font encore grâce à des réimpressions qui permettent de continuer à faire vivre un catalogue riche) -, Mort-en-direct.com vous agrippe dès le début tel un python qui vous enroulerait peu à peu de ses anneaux terrifiants pour mieux les resserrer à chaque fois un peu plus fort, jusqu'à l'ultime attaque, l'implacable crispation qui vous terrasse et vous broie tout entier. À ne surtout pas manquer !

Mort-en-direct.com, de John Katzenbach (What comes next, 2012), Presses de la Cité, coll. Sang d'encre 2012, traduction de l'américain par Jean-Charles Provost, 540 pages, 22,50 euros.

dimanche 12 mai 2013

« Une semaine en enfer » de Matthew F. Jones, une pépite noire d'une beauté à couper le souffle.

Présentation de l'éditeur :
Abandonné par sa femme et leur jeune fils, John Moon vit dans une misérable caravane en
Un jour, il part braconner et, croyant tirer sur un daim qui s'enfuit à travers les bois, il abat une jeune fille. C'est sa première faute, les autres suivront...
Pourtant, cette fois-ci, John ne se laissera pas faire. Il se lance dans une fuite en avant désespérée, bien décidé à prouver à tous qu'il peut s'en sortir.
Mais depuis quand les losers auraient-ils une seconde chance?
lisière de la forêt, désabusé et aigri : son père, ruiné, a vendu la ferme, et depuis John survit de petit boulot en petit boulot.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pascale Haas.

L'auteur
Matthew F Jones vit à Charlottesville en Virginie. Il a écrit de nombreux romans noirs, ainsi que des scénarios de films. Une semaine en enfer est en cours d'adaptation au cinéma.
 Pourquoi faut-il le lire ?

Parce qu'il s'agit en plus du premier roman de Matthew F. Jones, publié intialement aux States en 1996, par Mulholland Books - un "département" de Little, Brown and Company (Michael Connelly, Walter Mosley, Georges Pelecanos, et bien d'autres très grands...), qui plus est -, et parce qu'il nous aura donc fallu, à nous autres pauvres lecteurs français et francophiles, attendre pas moins de 17 ans pour pouvoir le découvrir !... Le temps que Béatrice Duval le sélectionne pour faire partie, avec Des Nœuds d'acier de Sandrine Collette, des deux romans soigneusement choisis pour inaugurer, en tout début d'année 2013, la résurrection inespérée de la fameuse collection Sueurs froides des éditions Denoël.

Ce que j'en pense:  Nerveuse et sauvage, une sombre tragédie, d'une beauté à couper le souffle.
.
Que ce soit le titre, en VO - « A single shot » - ou en français, Jones aura alors, dès 1996, dévoilé toute l'ampleur de son talent. Un peu à la manière aujourd'hui d'un Donald Ray Pollock ( « Knockemstiff » ou « Le Diable, tout le temps » ), d'un Frank Bill ( « Chiennes de vies » ) ou d'un Kevin Powers ( «Yellow birds »), et mis à part que les deux premiers auront débuté par un recueil de nouvelles
 Mais d'emblée avec ce roman, on ne peut d'ailleurs s'empêcher de penser aussi à David Vann et à « Sukkwan Island » en priorité.

Car John Moon - dont le début de vie en tant qu'adulte avait alors toujours reposé sur son son père - a désormais tout perdu.
Ainsi, il vivote maintenant au jour le jour grâce au braconnage, vit dans une pauvre caravane accrochée au maigre lopin de terre qui lui reste de son paternel; celle-ci ayant été vendue il y a déjà fort longtemps à un banquier du coin qui était alors venu réclamer au père de Moon l'argent que sa banque lui avait prêté. Ruiné, acculé, celui-ci n'avait pu que vendre à regret cette terre, celle qui les avait toujours nourris, lui et sa petite famille : lui, le père, sa femme, et son gosse John.
C'est pourquoi, aujourd'hui, John Moon non seulement vit dans ces conditions misérables au sein d'un paysage pourtant magnifique, et avec un voisin qui lui propose même un job pour au moins tenter de se "fixer" durablement, mais il doit également subir le départ de sa femme. Laquelle est partie se réfugier dans un petit appartement, vivotant grâce à un job de serveuse dans le snack du coin, mais emmenant avec elle la prunelle des yeux de John : son fils.
Malgré cela, John survit. C'est un battant, et s'il parvient à survivre, c'est avant tout parce qu'il vit au jour le jour, certes, mais aussi parce qu'il a des valeurs, des valeurs d'homme. Il ne baisse jamais les bras, même aux pires moments, même lorsqu'il ne semble y avoir plus aucun espoir. Car si tout le monde voit en John Moon un loser, tous se trompent.
Car contrairement à ce que pourrait faire penser l'accroche un peu éculée de quatrième de couverture -
Lui a un fils et y tient plus que tout au monde. Il ferait tout, n'importe quoi, pour que celui-ci ne manque jamais de l'appui de son père.
Tout comme John, mis à part que lui, plus jeune, a pu voir le sien mourir à petits feux des suites d'une grave maladie, laquelle aura non seulement emporté son père, mais l'aura aussi privé de tout futur possible, et même, visiblement, de tout bonheur possible.
« Il lui dit que, à son âge, son seul projet était d'épouser la fille qu'il aimait, de la ramener à la ferme familiale, d'être le meilleur paysan possible et d'élever ses enfants pour qu'ils en fassent autant, et que le fait que son père ait tout perdu quand il avait seize ans l'a laissé aussi handicapé que s'il avait eu un accident de voiture et perdu l'usage de ses jambes. »

Alors ce matin-là, lorsque John part braconner un cerf qui le nargue maintenant depuis des jours, représentant la viande, malheureusement chère, dont son fils a besoin pour bien se nourrir et ainsi ne manquer de rien, tout bascule. La pauvre petite vie minable de John trébuche.

Car dès lors qu'il tire par mégarde sur cette fille, croyant enfin abattre ce cerf qu'il pourchasse depuis des heures, il se rend compte, petit à petit, que c'est bel et bien une vie qu'il vient d'ôter. La vie d'une toute jeune ado qui, malgré ses propres difficultés, aurait pourtant pu grandir, mûrir, devenir une jeune femme séduisante, une mère. Et une femme aussi. Peut-être pas celle de son fils, ni même la sienne, puisqu'il compte bien tout faire pour tenter d'annuler son propre divorce, mais John comprend très vite qu'il vient de commettre l'irréparable. Par erreur. Une simple, une seule erreur.
Mais qui risque bien de l'entraîner, en à peine quelques jours, et s'il ne se bat pas de toutes ses forces, en prison.
Là où plus jamais il ne pourra voir son fils. Là où plus jamais son ex-femme ne voudra ne serait-ce que lui rendre visite. La prison, l'enfer.

Je ne suis certainement pas prêt d'oublier John Moon, ni d'ailleurs ce magnifique mais terriblement sombre
roman.
D'une beauté fraîche et éclatante qui, peu à peu, s'assombrit de plus en plus tandis que le récit déroule peu à peu un piège implacable qui se resserrera lentement autour de la gorge nouée de son magnifique personnage principal, ce premier coup d'éclat de Matthew F. Jones donne terriblement envie de pouvoir lire un jour ce qu'il a écrit par la suite - c'est-à-dire depuis maintenant près de dix-sept ans...
 Pas étonnant d'apprendre finalement qu'Une semaine en enfer est déjà en cours d'adaptation pour le cinéma.
Ou quand le cinéma permet aussi de redonner une seconde vie à une oeuvre littéraire oubliée depuis un peu trop longtemps...
Espérons seulement que le metteur en scène et que la production suivent. Non pas forcément pour en faire un « blockbuster », mais au moins pour que toute la beauté et le lyrisme de l'écriture impressionniste de Jones puisse être retranscrite à l'écran.
Car Matthew F. Jones, justement, dans la pure veine de ce qu'on appelle aujourd'hui le "nature writing", y dépeint une nature à la fois si belle et magnifique, mais aussi si libre et sauvage, qu'elle en finit par en être également oppressante, voire même menaçante tant elle est également omniprésente au fur et à mesure que se déroule implacablement ce récit, dont elle est, justement et plus que jamais, un personnage à part entière.

Or, avec l'auteur, et pendant que Moon se débat pour survivre malgré la simple mais pourtant terrible erreur qu'il vient de commettre involontairement, chaque plante, chaque arbre, chaque oiseau ou chaque animal a un nom bien précis.
D'où précisément cette sensation progressive de déséquilibre, de trop-plein, parfaitement à l'image de ce que finit par ressentir John, justement.Sans même compter cette macabre atmosphère de putréfaction qui se développe au fur et à mesure que ce noir récit se déroule, implacablement.

Un mélange à la fois fort, puissant, entêtant, dérangeant même, comme peut l'être ce polar implacable, qui fleure bon la terre, le tourbe, la sueur de l'homme au coeur des grands, sauvages et si beaux espaces américains.
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PS : Je tiens tout particulièrement à remercier chaleureusement à la fois Babelio et les éditions Denoël de m'avoir permis, dans le cadre de cette opération Masse Critique,  de découvrir ce petit bijou de littérature noire.




« Une semaine en enfer » de Matthew F. Jones (A single shot), Denoël, coll. Sueurs froides, 2013.