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dimanche 12 mai 2013

« Une semaine en enfer » de Matthew F. Jones, une pépite noire d'une beauté à couper le souffle.

Présentation de l'éditeur :
Abandonné par sa femme et leur jeune fils, John Moon vit dans une misérable caravane en
Un jour, il part braconner et, croyant tirer sur un daim qui s'enfuit à travers les bois, il abat une jeune fille. C'est sa première faute, les autres suivront...
Pourtant, cette fois-ci, John ne se laissera pas faire. Il se lance dans une fuite en avant désespérée, bien décidé à prouver à tous qu'il peut s'en sortir.
Mais depuis quand les losers auraient-ils une seconde chance?
lisière de la forêt, désabusé et aigri : son père, ruiné, a vendu la ferme, et depuis John survit de petit boulot en petit boulot.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pascale Haas.

L'auteur
Matthew F Jones vit à Charlottesville en Virginie. Il a écrit de nombreux romans noirs, ainsi que des scénarios de films. Une semaine en enfer est en cours d'adaptation au cinéma.
 Pourquoi faut-il le lire ?

Parce qu'il s'agit en plus du premier roman de Matthew F. Jones, publié intialement aux States en 1996, par Mulholland Books - un "département" de Little, Brown and Company (Michael Connelly, Walter Mosley, Georges Pelecanos, et bien d'autres très grands...), qui plus est -, et parce qu'il nous aura donc fallu, à nous autres pauvres lecteurs français et francophiles, attendre pas moins de 17 ans pour pouvoir le découvrir !... Le temps que Béatrice Duval le sélectionne pour faire partie, avec Des Nœuds d'acier de Sandrine Collette, des deux romans soigneusement choisis pour inaugurer, en tout début d'année 2013, la résurrection inespérée de la fameuse collection Sueurs froides des éditions Denoël.

Ce que j'en pense:  Nerveuse et sauvage, une sombre tragédie, d'une beauté à couper le souffle.
.
Que ce soit le titre, en VO - « A single shot » - ou en français, Jones aura alors, dès 1996, dévoilé toute l'ampleur de son talent. Un peu à la manière aujourd'hui d'un Donald Ray Pollock ( « Knockemstiff » ou « Le Diable, tout le temps » ), d'un Frank Bill ( « Chiennes de vies » ) ou d'un Kevin Powers ( «Yellow birds »), et mis à part que les deux premiers auront débuté par un recueil de nouvelles
 Mais d'emblée avec ce roman, on ne peut d'ailleurs s'empêcher de penser aussi à David Vann et à « Sukkwan Island » en priorité.

Car John Moon - dont le début de vie en tant qu'adulte avait alors toujours reposé sur son son père - a désormais tout perdu.
Ainsi, il vivote maintenant au jour le jour grâce au braconnage, vit dans une pauvre caravane accrochée au maigre lopin de terre qui lui reste de son paternel; celle-ci ayant été vendue il y a déjà fort longtemps à un banquier du coin qui était alors venu réclamer au père de Moon l'argent que sa banque lui avait prêté. Ruiné, acculé, celui-ci n'avait pu que vendre à regret cette terre, celle qui les avait toujours nourris, lui et sa petite famille : lui, le père, sa femme, et son gosse John.
C'est pourquoi, aujourd'hui, John Moon non seulement vit dans ces conditions misérables au sein d'un paysage pourtant magnifique, et avec un voisin qui lui propose même un job pour au moins tenter de se "fixer" durablement, mais il doit également subir le départ de sa femme. Laquelle est partie se réfugier dans un petit appartement, vivotant grâce à un job de serveuse dans le snack du coin, mais emmenant avec elle la prunelle des yeux de John : son fils.
Malgré cela, John survit. C'est un battant, et s'il parvient à survivre, c'est avant tout parce qu'il vit au jour le jour, certes, mais aussi parce qu'il a des valeurs, des valeurs d'homme. Il ne baisse jamais les bras, même aux pires moments, même lorsqu'il ne semble y avoir plus aucun espoir. Car si tout le monde voit en John Moon un loser, tous se trompent.
Car contrairement à ce que pourrait faire penser l'accroche un peu éculée de quatrième de couverture -
Lui a un fils et y tient plus que tout au monde. Il ferait tout, n'importe quoi, pour que celui-ci ne manque jamais de l'appui de son père.
Tout comme John, mis à part que lui, plus jeune, a pu voir le sien mourir à petits feux des suites d'une grave maladie, laquelle aura non seulement emporté son père, mais l'aura aussi privé de tout futur possible, et même, visiblement, de tout bonheur possible.
« Il lui dit que, à son âge, son seul projet était d'épouser la fille qu'il aimait, de la ramener à la ferme familiale, d'être le meilleur paysan possible et d'élever ses enfants pour qu'ils en fassent autant, et que le fait que son père ait tout perdu quand il avait seize ans l'a laissé aussi handicapé que s'il avait eu un accident de voiture et perdu l'usage de ses jambes. »

Alors ce matin-là, lorsque John part braconner un cerf qui le nargue maintenant depuis des jours, représentant la viande, malheureusement chère, dont son fils a besoin pour bien se nourrir et ainsi ne manquer de rien, tout bascule. La pauvre petite vie minable de John trébuche.

Car dès lors qu'il tire par mégarde sur cette fille, croyant enfin abattre ce cerf qu'il pourchasse depuis des heures, il se rend compte, petit à petit, que c'est bel et bien une vie qu'il vient d'ôter. La vie d'une toute jeune ado qui, malgré ses propres difficultés, aurait pourtant pu grandir, mûrir, devenir une jeune femme séduisante, une mère. Et une femme aussi. Peut-être pas celle de son fils, ni même la sienne, puisqu'il compte bien tout faire pour tenter d'annuler son propre divorce, mais John comprend très vite qu'il vient de commettre l'irréparable. Par erreur. Une simple, une seule erreur.
Mais qui risque bien de l'entraîner, en à peine quelques jours, et s'il ne se bat pas de toutes ses forces, en prison.
Là où plus jamais il ne pourra voir son fils. Là où plus jamais son ex-femme ne voudra ne serait-ce que lui rendre visite. La prison, l'enfer.

Je ne suis certainement pas prêt d'oublier John Moon, ni d'ailleurs ce magnifique mais terriblement sombre
roman.
D'une beauté fraîche et éclatante qui, peu à peu, s'assombrit de plus en plus tandis que le récit déroule peu à peu un piège implacable qui se resserrera lentement autour de la gorge nouée de son magnifique personnage principal, ce premier coup d'éclat de Matthew F. Jones donne terriblement envie de pouvoir lire un jour ce qu'il a écrit par la suite - c'est-à-dire depuis maintenant près de dix-sept ans...
 Pas étonnant d'apprendre finalement qu'Une semaine en enfer est déjà en cours d'adaptation pour le cinéma.
Ou quand le cinéma permet aussi de redonner une seconde vie à une oeuvre littéraire oubliée depuis un peu trop longtemps...
Espérons seulement que le metteur en scène et que la production suivent. Non pas forcément pour en faire un « blockbuster », mais au moins pour que toute la beauté et le lyrisme de l'écriture impressionniste de Jones puisse être retranscrite à l'écran.
Car Matthew F. Jones, justement, dans la pure veine de ce qu'on appelle aujourd'hui le "nature writing", y dépeint une nature à la fois si belle et magnifique, mais aussi si libre et sauvage, qu'elle en finit par en être également oppressante, voire même menaçante tant elle est également omniprésente au fur et à mesure que se déroule implacablement ce récit, dont elle est, justement et plus que jamais, un personnage à part entière.

Or, avec l'auteur, et pendant que Moon se débat pour survivre malgré la simple mais pourtant terrible erreur qu'il vient de commettre involontairement, chaque plante, chaque arbre, chaque oiseau ou chaque animal a un nom bien précis.
D'où précisément cette sensation progressive de déséquilibre, de trop-plein, parfaitement à l'image de ce que finit par ressentir John, justement.Sans même compter cette macabre atmosphère de putréfaction qui se développe au fur et à mesure que ce noir récit se déroule, implacablement.

Un mélange à la fois fort, puissant, entêtant, dérangeant même, comme peut l'être ce polar implacable, qui fleure bon la terre, le tourbe, la sueur de l'homme au coeur des grands, sauvages et si beaux espaces américains.
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PS : Je tiens tout particulièrement à remercier chaleureusement à la fois Babelio et les éditions Denoël de m'avoir permis, dans le cadre de cette opération Masse Critique,  de découvrir ce petit bijou de littérature noire.




« Une semaine en enfer » de Matthew F. Jones (A single shot), Denoël, coll. Sueurs froides, 2013.