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mercredi 29 janvier 2014

Belém - Edyr Augusto (Asphalte) LA grande révélaton du roman noir !

Présentation de l'éditeur :

Johnny, célèbre coiffeur de la jet-set de Belém et habitué de la presse people, est retrouvé mort à son domicile, visiblement d’un arrêt cardiaque dû à une overdose. Mais le jeune inspecteur chargé de l’enquête, Gilberto Castro, trouve sur les lieux des vidéos et des photos compromettantes des ébats du défunt, impliquant des enfants… Tâchant d’en apprendre plus, Gilberto se mêle aux amis de Johnny, tous issus de la classe supérieure de Belém, et commence à soupçonner que la mort du coiffeur n’a rien d’accidentel. Malheureusement, sa rencontre avec l’une des proches du défunt, Selma, oiseau de nuit assoiffée de fêtes et d’excès, risque bien de le détourner de son but et de le faire replonger dans son ancien vice, l’alcoolisme… Belém nous fait découvrir le côté sombre de la "cité des manguiers", métropole brésilienne située à l’estuaire de l’Amazone.
Trafic de drogues, proxénétisme, pédophilie, corruption : avec un réalisme cru, Edyr Augusto peint le portrait terrible d’une classe supérieure sans scrupule qui se nourrit des plus faibles. Une critique sociale rageuse portée par une écriture directe et nerveuse.

L'auteur Né en 1954 à Belém, Edyr Augusto est journaliste, poète et dramaturge.
Belém, son premier roman, a été publié dans son pays en 1998. D'autres titres ont suivi, dont Moscow (2001), à paraître chez Asphalte en 2014. Très attaché à sa région, l'État de Pará au nord du Brésil, il y ancre tous ses récits.

>> Source : www.asphalte-editions.com


>> COUP DE COEUR !

Mon avis : Sombre, violent et addictif, un véritable diamant noir d'une intensité dévastatrice !

 L'écriture est habile, fluide et directe, toujours empreinte d'un réalisme implacable, cru, parfois dérangeant lorsque l'horreur est montrée sans fard, et pourtant dépourvu de surenchère - la cruauté sans borne de nombreux trafiquants sud-américains ne relèvent malheureusement pas de la légende.
L'intrigue, menée sur un rythme qui ne faiblit jamais, parvient pourtant à montrer à quel point la ville a une influence capitale et néfaste sur la vie et le parcours des personnages, réduits pour l'immense majorité à l'état de chair humaine à louer, à vendre ou à exploiter. le poids de la corruption pèse comme une chape de plomb indestructible sur une cité gangrénée par la pauvreté, où l'argent est la seule valeur reconnue alors que la vie d'un être humain ne vaut pas plus que l'éventuel bénéfice financier ou sexuel dont on peut en tirer.
Loin de jouer les guides touristiques, Edyr Augusto écrit avec rage et dénonce l'inhumanité de cette mégapole où il a toujours vécu, certainement parce que l'écriture représente le dernier et seul moyen qu'il a pour espérer ne serait-ce que "faire quelque chose", ne pas se résigner.
Le résultat est plus qu'un polar unique et fascinant. Belém brille comme un diamant noir encore un peu brut, dont certaines facettes possèderaient un éclat éblouissant, profond et unique, là où d'autres montreraient une noirceur plus sourde, plus rugueuse, plus abrupte et plus sale aussi, à l'image de certains personnages dont l'humanité a clairement marqué le pas et reculé face à la bestialité.
Et puis il y a cette noirceur toxique qui semble imprégner de plus en plus le déroulement et l'atmosphère de ce roman, les actes de ses personnages, dans un crescendo asphyxiant. Pourtant, Edyr Augusto n'en délaisse pas pour autant son intrigue.
Le premier chapitre, en cela, est trompeur, qui semble donner lieu à une enquête classique sur la mort par arrêt cardiaque dans son appartement d'un coiffeur de la jet-set, aimé de tous ses amis. Bien sûr, il y a les coupelles de cocaïne qui l'entourent et qui auront pu précipiter l'accident, mais si Gilberto Castro, membre de la police locale censé incarner le renouveau de celle-ci qui se retrouve chargé de l'affaire, en croit la domestique du coiffeur, celui-ci était « un homme bien ». Ce qu'elle persiste à affirmer même quand, peu après, Castro découvre un meuble chez la victime rempli de photos et de vidéos pédopornographiques, qui prouvent que le coiffeur aimait à se filmer lorsqu'il violait des enfants, y compris sa nièce, la fille d'une de ses amies de la jet-set.
Avec un tel chapitre, on pourrait croire le roman déjà balisé, or Gilberto Castro va être confronté à bien d'autres évènements, et s'enfoncer au fur et à mesure dans une trame aux multiples ramifications qui va vite prendre l'allure d'un cauchemar éveillé.

Avec ses portraits de personnages fascinants, son rythme trépidant, sa noirceur brutale mais réaliste, on dévore ce roman exceptionnel comme emporté par son ambiance vénéneuse.
C'est aussi tout ce qui fait la force, la puissance et l'intensité rares de ce chef d'oeuvre vénéneux et envoûtant.
Belém est l'une des grandes révélations du roman noir de cet hiver, et je languis déjà le 6 février prochain la parution de Moscow, le second roman d'Edyr Augusto.
Il est difficile de ressortir de Belém indemne. Ce n'est pas un roman noir qui cherche à être aimable - il ne l'est pas - mais il irradie une force et une intensité uniques et dévastatrices.
C'est incontestablement l'une de mes lectures les plus fortes et inoubliables de l'année.
J'en suis sorti en état de choc, avant de me retrouver en état de manque et de plus savoir quel livre ouvrir pendant deux semaines !
C'est ce qu'on appelle une pépite, et en l'occurrence un véritable bijou de littérature noire, qu marque les esprits... et qui fait mal.

PS : Je remercie infiniment les éditions Asphalte  et Babelio pour cette magnifique et inoubliable découverte.


Belém de Edyr Augusto (Os éguas, 1998), traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos, éditions Asphalte, coll. Fictions, 2013.


http://asphalte-editions.com/?page=accueil

lundi 23 septembre 2013

Manuel de survie à l'usage des incapables - Thomas Gunzig (Au Diable Vauvert)

Présentation de l'éditeur

Avec ce troisième roman, placé sous l'exergue d’une citation d’Arnold Schwarzenegger, c’est le supermarché, dernier temple du monde moderne, qui a inspiré à Thomas Gunzig son humour ravageur et son sens de l’aventure.
C’est en tout cas le lieu où convergent et se croisent les destins des héros involontaires. Un jeune employé, un assistant au rayon primeur, un baleinier compatissant et quatre frères, Blanc, Brun, Gris et Noir, jeunes loups aux dents longues surentraînés et prêts à tout, vont ainsi se retrouver liés par la conjonction fortuite d’un attentat frauduleux et du licenciement abusif d’une caissière.

Source : www.audiable.com



Mon avis : Intelligent et follement original, un roman explosif et génétiquement modifié !


Amis lecteurs, tout d'abord, en cette rentrée littéraire, lorsque vous serez amenés, ici ou en librairie, à lire le titre de ce nouveau roman de Thomas Gunzig, bannissez immédiatement et implacablement tout sentiment négatif à son égard : scepticisme, snobisme, désintérêt ou impression de déjà lu.

Car derrière celui-ci se cache l'une des pépites de la rentrée, mais l'une de celles qui, paradoxalement, risque de n'être jamais mentionnées par la critique littéraire.

Phénomène d'ailleurs doublement étrange si vous vous êtes aperçus comme moi que ladite critique avait tendance cette année à vouloir vous vendre un petit groupe d'écrivains estampillés « contestataires », « rebelles » ou, plus généralement, censés avoir « pris à bras-le-corps la réalité de la contestation sociale » dans leurs livres.

Si je vous dis tout cela en préambule, c'est parce que s'il y a bien un auteur qui en cette rentrée propose une vision acérée et (extra-)lucide sur notre société, c'est bien Thomas Gunzig !
Mais rassurez-vous, il n'est pas pour autant question de sombrer dans un intellectualisme ronflant ni même d'être trop sérieux. L'auteur n'a pas l'intention de vous asséner une quelconque leçon; non, son but principal reste heureusement le plaisir de lecture pour ses lecteurs.

D'où un roman totalement inclassable, délicieusement intelligent et ô combien mouvementé !
Cocktail unique et explosif de roman noir, de récit d'anticipation, d'humour caustique, ce Manuel de survie à l'usage des incapables est une radiographie d'une lucidité terrifiante de notre société marchande, capitaliste et mondialisée. À travers le braquage d'un hypermarché devenu centre du monde et microcosme où travaillent, consomment et se croisent tout le « matériel humain » en âge de travailler de la ville, et une histoire de vengeance qui se transforme en course-poursuite, l'auteur met en scène des personnages que l'on croyait monstrueux parce que rendus à l'état d'animaux sauvages - des loups ! - et d'autres qui, bien qu'humains, finissent par se comporter en robots sans conscience à force de résignations, d'obéissance, de renoncements.

Tous vont pourtant devoir affronter un ou des éléments déstabilisateurs, qui vont les transformer. Certains, vont ainsi pour retrouver le goût de vivre, le désir voire l'amour, d'autres verront leur autorité dans le groupe au sein duquel ils vivaient s'effondrer, mais tous, étrangement ne regretteront rien...

Laissez-vous embarquer dans ce roman vivifiant et enthousiasmant de Thomas Gunzig, vous serez séduits dès le premier chapitre, décontenancés aussi, mais à l'image des personnages, il est plus que probable que vous non plus ne regrettiez pas, au final, cette odyssée chaotique et loufoque.

Un roman inclassable, intelligent et follement original qui fait du bien, en cette rentrée littéraire.
D'autant plus que sous sa fausse légèreté, ce Manuel indispensable sera probablement une belle source de réflexions...

Je remercie tout particulièrement Babélio et les éditions Au Diable Vauvert de m'avoir fait découvrir ce roman dans le cadre de l'opération Masse critique.



Manuel de survie à l'usage des incapables, de Thomas Gunzig, ed. Au Diable Vauvert, 2013.

dimanche 28 juillet 2013

Chronique : On the Brinks - Sam Millar (Seuil)

> Sélection 2013, année irlandaise

> Coup de coeur 

> Partie 1/2 : Présentation

> Partie 2/2 :Chronique

 Présentation de l'éditeur (rappel)

De fait, le spectaculaire récit autobiographique de Sam Millar a tout d’un thriller. À ceci près que si on lisait pareilles choses dans un roman, on les trouverait bien peu crédibles.
Catholique, Millar combat avec l’IRA et se retrouve à Long Kesh, la prison d’Irlande du Nord où les Anglais brutalisent leurs prisonniers. Indomptable, il survit sans trahir les siens: voilà pour la partie la plus noire, écrite avec fureur et un humour constant.
Réfugié aux états-Unis après sa libération, il conçoit ce qui deviendra le 5e casse le plus important de l’histoire américaine. La manière dont il dévalise le dépôt de la Brinks à Rochester, avec un copain irlandais, des flingues en plastique et une fourgonnette pourrie, est à ne pas croire. Même Dortmunder, dans un roman de Westlake, s’y prendrait mieux. Il n’empêche, le butin dépasse les 7 millions de dollars!
Un procès et une condamnation plus tard, il retrouve la liberté, mais entretemps, la plus grande partie de l’argent a disparu. Millar semble avoir été roulé par ses complices… Saura-t-on jamais la vérité?
En tout cas, le FBI cherche toujours!

Né à Belfast en 1958, Sam Millar a fait de la prison en Irlande du Nord comme activiste politique, et aux États-Unis comme droit commun. De retour à Belfast où il vit toujours, il est devenu écrivain. Après deux romans, Poussière tu seras et Redemption Factory, et le best-seller international On the Brinks, il a commencé la série policière Karl Kane, à paraître au Seuil.

Traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal

source : www.seuil.com
 

Mon avis : le stupéfiant thriller autobiographique de l'Irlandais Sam Millar, une vraie bombe littéraire ! Où quand la réalité dépasse la fiction, et de loin...

À l'heure où la grande tendance actuelle dans les "prestigieux" milieux littéraires internationaux, et bien sûr américains avant tout, est à la creative non-fiction, à la littérature-reportage et que j'imagine que nombre d'ateliers d'écriture doivent plancher dur sur ce nouveau phénomène, Sam Millar les aura tous devancé, j'imagine sans même s'en rendre compte ou s'en soucier, lorsqu'il a entrepris d'écrire On the Brinks.
Pourtant, j'imagine à quel point la rédaction de ce livre a du être dure pour lui qui aura non seulement vécu l'impensable, l'incroyable, et à plusieurs reprises en plus, mais qui y aura aussi et surtout survécu pour pouvoir enfin retourner vivre avec sa famille dans son pays, l'Irlande du Nord. Et à ce moment-là, devenir rapidement un grand écrivain. On the Brinks en témoigne définitivement.

Après un prologue éblouissant et digne d'une scène hollywoodienne, son récit est découpé en deux grandes parties, elle-mêmes rythmées de chapitres courts qui, introduits ou illustrés chacun par une ou deux exergues d'un à-propos emblématique de la puissance et de la clarté de l'homme et de son écriture, témoignent tous de scènes mémorables.
La première partie est consacrée à sa vie à Belfast, dans une Irlande du Nord catholique soumise, assiégée et occupée par un empire britannique et protestant d'une cruauté implacable, bien décidé à pulvériser cet îlot de résistance, cette grande nation irlandaise qui reste chevillée au coeur de ses habitants du Nord. Le tout jeune Sam Millar, qui souffre de l'absence de son père mais aussi de la dérive psychologique de sa mère, pour qui la vie quotidienne et misérable de l'époque est devenue insupportable, en garde des visions orwelliennes lorsqu'il réalise à quel point lui et ses semblables, en plus de vivre dans une pauvreté extrême, sont considérés comme de minuscules fourmis à écraser par l'ennemi. Quelques années plus tard, tout content d'être amené par son frère dans sa  voiture à la manifestation pacifique pour les droits civiques, il voit alors de ses propres yeux le sang innocent couler à flot. Le sien ne fait qu'un tour et il s'engagera alors dans le militantisme nationaliste.

« Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était Derry, mais ça sonnait de façon magique.(...)Nous étions le 30 janvier 1972 et personne n'imaginait le terrible cauchemar qui nous attendait. C'est devenu le moment phare de ma vie, un baptême du feu dans le monde réel d'un nationaliste en Irlande du Nord. »
« Mon père pleurait presque quand nous sommes rentrés et qu'il nous annonça la terrible nouvelle : "Les Anglais ont assassiné 13 personnes innocentes. J'ai cru que vous étiez parmi eux." Mon frère ne disait rien. Son silence parlait pour lui : pas question qu'ils s'en sortent comme ça. Le monde ferait triompher la justice. Nous étions vraiment d'une naïveté risible à l'époque. »

D'ailleurs, en enchainant par la suite quelques petits boulots, dont un dans un abattoir alors qu'il aime tant les animaux et qu'il quittera au bout de quelques jours, Millar, avec son écriture rageuse, sèche et tranchante aigusera une description apocalyptique du quotidien dans un abattoir et en fera une métaphore parfaite du Système qui broie alors les catholiques d'Irlande du Nord.
Mais grâce à son récit parfaitement construit et à son art de manier l'ellipse, si l'on n'a pas les détails de son engagement à l'IRA, c'est suite à un procès inique et là encore perdu d'avance que Millar plonge alors directement, mais en croyant encore naïvement être libéré au bout de quelques mois seulement, dans l'enfer sur terre qu'il a vécu durant les huit années d'enfermement, de survie, de tortures physiques et psychologiques quotidiennes à la prison de haute sécurité de Long Kesh. Il fera partie des Blanket Men, ceux qui refusent d'endosser l'uniforme du prisonnier et sont donc obligés de (sur)vivre nus, couverts d'une seule couverture miteuse et puante.
Seule son incroyable force morale le sauvera de la mort à tant de reprises, lui et quelques uns de ses compagnons de lutte et de cellules qui ne lâcheront rien et continueront à ne pas se soumettre au Système.

Après cette première partie dramatique et poignante, justement parce que dépourvu du moindre pathos, et qui permettra en plus à n'importe quel lecteur d'apprendre ce qui a pu se passer il n'y pas si longtemps en Irlande et pourquoi - sans non plus tomber dans les descriptions historiques ou politiques difficiles à saisir et qui plombent parfois d'autres romans consacrés à cette période irlandaise - la seconde est, elle, beaucoup plus légère.
L'humour à froid dont Sam Millar ne se départit jamais et qui fait partie intégrante de sa plume fonctionne ici à merveille. L'Irlandais se révèle même être un dialoguiste particulièrement talentueux, parvenant à brosser les portraits irrésistibles de personnages secondaires qui font mouche et fonctionnent avec une rare efficacité.
Je ne suis pas prêt d'oublier le père de son patron quand il a été croupier dans un casino clandestin, par exemple !
En réalité, tout au long de cette seconde partie d'On the Brinks, le lecteur tourne les pages compulsivement, estomaqué par un récit plein de surprises, parfois traversé de passages poétiques ou d'un brin de nostalgie quand on constate à quel point Sam a toujours aimé les comic books. Et cette irrésistible fraîcheur, cette légèreté dont fait preuve à tout moment Millar après avoir vécu le pire à Long Kesh, les nombreuses trahisons et désillusions de l"époque, ce mélange unique entre un homme revenu de tout et qui, malgré tout, a su garder une petite part de naïveté et conserver encore aujourd'hui un peu de son âme d'enfant, tout cela illumine définitivement tout le reste d'On the Brinks. La preuve : il garde même des révélations jusqu'à l'avant-dernier paragraphe de son épilogue, quel sale gosse ce Sam Millar !

On the Brinks est LA pépite de l'année. Ou, plus exactement, ce livre est grand, tout simplement, parce que son auteur n'est pas qu'un sacrément bon écrivain. Sam Millar est un grand homme, un homme profondément bon. La lecture d'On the Brinks a confirmé de manière éblouissante ce que j'avais pressenti lorsque j'ai eu la chance de le rencontrer en mars dernier à Lyon, à l'occasion des Quais du Polar 2013.

À l'image des héros qui le fascinaient tant, gamin, dans les comics qu'il dévorait chaque fois qu'il pouvait s'en procurer un, Millar est pour l'Irlande du Nord, c'est-à-dire pour toute la grande nation irlandaise, l'un de ses héros, sans qui elle n'existerait vraisemblablement plus aujourd'hui.

Si vous n'avez qu'un livre à lire cette année, lisez sans hésiter On the Brinks. Vous ne serez pas déçus !


 Sam Millar, par son engagement et son combat exemplaire, fait partie de ces Âmes qui brûlent et dont chaque nation a tant besoin pour pouvoir survivre par les temps périlleux qui couvent.
(Photo : http://leblogdupolar.com/)



On the Brinks, de Sam Millar [On the Brinks, the extended edition, 2009], traduit de l'anglais (Irlande) par Patrick Raynal, Editions du Seuil, coll. Seuil Policiers, 2013.

samedi 27 juillet 2013

Trois cercueils blancs - Antonio Ungar (Noir sur Blanc/Notabilia)


Présentation de l'éditeur :

José Cantoná, être grotesque et dérisoire entretenu par son vieux père, n’a rien d’un héros. Mais l’assassinat de Pedro Akira, leader de l’opposition au régime dictatorial du président de la République du Miranda, le très minuscule Don Tomás Del Pito, va changer son destin. Sosie parfait du charismatique Akira, le voilà convaincu de se mettre dans la peau du héros, dont la mort n’a pas été rendue publique, afin de jeter à bas le régime pitiste. Que se passe-t-il quand il tombe amoureux de sa belle et silencieuse infirmière, Ada ? Qu’arrive-t-il à un imposteur qui peu à peu incarne le personnage qu’il joue ? Pourchassé par ses ennemis (les tueurs de Del Pito, les militaires, les narcotrafiquants, les escadrons de la mort) et trahi par ses amis, le faux Akira prend la fuite avec sa belle. Dès lors, le roman avec ses épisodes hilarants se transforme en un thriller effréné, où la mort guette à chaque instant.
Satire violente de certains régimes latino-américains, Trois cercueils blancs est porté par une voix sauvage et imprévisible.

source : www.leseditionsnoirsurblanc.fr

Mon avis :

J'ai reçu ce roman dans le cadre de la dernière opération Masse critique de Babélio parmi une sélection de plusieurs titres qui m'intéressaient. C'était en plus pour moi l'occasion de découvrir la nouvelle collection Notabilia dirigée par Brigitte Bouchard aux éditions Noir sur Blanc.
J'avais sélectionné celui-ci pour son côté "thriller sud-américain", et pour les situations et aventures burlesques que laissait sous-entendre le résumé, avec cette fameuse substitution de personnalité politique en pleine campagne électorale par un sosie qui me plaisait bien comme idée de départ. Or, j'avoue qu'au final, cette intrigue de base paraît bien réductrice tant ce roman du Colombien Antonio Ungar est atypique et parle essentiellement d'autre chose.

La première, évidente, est la satire violente et précise de ces régimes politiques d'Amérique du Sud, passés ou présents.
Le choix de transposer son histoire dans un pays imaginaire, ici la "République du Miranda", permet à l'auteur de décortiquer le fonctionnement de ces régimes tyranniques et gangrénés par la corruption mais qui, comme toujours dans ces cas-là, se disent démocratiques - comme l'étaient par exemple les sinistres Républiques "populaires" ou "démocratiques" communistes du XXè siècle à travers le monde - pour mieux en présenter un exemple-type, un schéma parfaitement réaliste et simple, à son lecteur.

Un président omnipotent qui a su placer sa famille et ses amis à la tête de toutes les grandes institutions du pays, médias officiels compris, une armée qui lutte soit-disant contre la guérilla stalinienne et les trafiquants de drogue alors qu'elle est le rouage essentiel pour déposséder les paysans de leurs terres au profit du président, une large coalition d'opposants politiques emmenés par un leader qui se veut la voie des pauvres - nombreux ! -  mais dont une bonne partie des cadres principaux sont très satisfaits des places acquises qui leur assurent déjà pouvoir et argent.                                                                                                           
Avec par exemple des descriptions de personnages irrésistibles, l'humour est bien présent dans cette violente mais parfaite parodie de ce pouvoir totalitaire, qui fonctionne aussi comme un miroir et nous interroge  également nous, Occidentaux, sur nos propres "démocraties". Car Antonio Ungar en profite aussi  pour écorcher la "grande" presse internationale - entendre européenne et américaine - à travers le reportage favorable d'une journaliste espagnole qui prend ses sources dans l'entourage du dictateur ou au contraire l'absence totale  d'articles consacrés au Miranda dans la sacro-sainte presse américaine. Ce qui vaut un portrait croustillant de ma presse américaine institutionnelle qui, comme dans nos pays, ne voit l'actualité internationale qu'à travers ces fameux "évènements marquants", et de l'intellectuel occidental (et donc cosmopolite) moyen : « (...) je me retrouve dans la peau d'un intellectuel de Brooklyn en pantoufles. Dans cet état d'esprit, et tout en imaginant la tasse correspondante de bon café, les cigarettes françaises et la musique ethnique, je lis dans le New York Times lui-même plusieurs articles joliment rédigés au sujet d'un coup d'état en Indonésie, d'une famine en Ethiopie, d'un raz-de marée en Inde, d'une épidémie en Chine et d'un manque scandaleux de chefs italiens dans les meilleurs restaurants de pâtes de Manhattattan.»         
Mais d'articles sur l'actualité du Miranda et la tentative de meurtre envers le candidat de l'opposition à l'élection présidentielle qui s'y déroule, le narrateur José Cantoná n'en trouvera pas...   

En réalité, c'est à ce narrateur que le lecteur devra avoir la patience de s'accoutumer pendant au moins les 50 premières pages, cette première partie laborieuse intitulée « Avant de commencer  ».
On a du mal à supporter l'inaction, l'absurdité et le ton employé par ce José Cantoná, homme ridicule et maniéré, enfermé dans sa propre bulle et qui, à la quarantaine, vit encore chez son père en passant son temps à jouer de la contrebasse, à contempler les étoiles fixées sur le plafond de sa chambre les nombreuses fois où il s'allonge sur son lit et à enchainer les cocktails à base de vodka. C'est pourquoi l'humour présent fait souvent sourire intérieurement tandis qu'on est à la limite de l'exaspération, attendant impatiemment que les choses "bougent".
Et même lorsqu'on dépasse ces 50 pages en guise d'introduction et que le récit commence enfin à se rythmer petit à petit, la lecture reste malgré tout empreinte d'étrangeté, voire d'onirisme, comme si on évoluait dans un univers encore ouaté.

Ce phénomène est en fait un parti-pris de l'auteur et de ses choix temporels et narratifs. On s'en rend compte dès la rencontre entre José Cantoná - lorsqu'il endosse ce qu'il va un peu trop prendre comme le rôle de sa vie, celui de sosie officiel de Pedro Akira, le fameux candidat présidentiel d'opposition « révolvérisé » quelques heures plus tôt mais que ses conseillers politiques vont faire croire à tous qu'il a en réalité survécu et se trouve à l'hôpital pour y subir les opérations et soins nécessaires à la reprise de la campagne électorale - et la jeune et jolie infirmière Ada.

Mais le début d'une grande histoire d'amour et la prise de conscience de la réalité funeste que traverse son pays et de l'enjeu réel qui pèse de tout son poids sur ses épaules agiront vite comme déclencheur pour Cantoná.
Dès lors, le rythme s'accèle, les aventures et surprises se multiplient et on ne décroche plus de cette histoire qui oscille sans cesse entre comédie et tragédie.
Avec en plus les meurtres et les trahisons, l'amour d'un côté et l'amitié de l'autre qui s'intensifient inexorablement, Trois cercueils blancs prend toute sa force romanesque et toute sa puissance dramatique, et aspire définitivement le lecteur pour mieux l'interpeler et lui tendre un miroir - troublant et dérangeant.

On peut ne pas accrocher du tout dès le début. Sinon, la patience sera récompensée avec ce roman exigeant car atypique et à apprivoiser.
Subtil, intelligent et entêtant, il sera alors difficile de ressortir totalement indemne de Trois cercueils blancs.


PS : La présentation et la maquette, signées Paprika,  de la collection Notabilia m'ont particulièrement plu, avec les feuilles de garde intérieures rouges qui relèvent le visuel en noir et blanc. Une vraie réussite, qui participe à faire de magnifiques "objets livres" comme je les aime tant ! En tout cas, une collection à surveiller.




Trois cercueils blancs, de Antonio Ungar [Tres Ataúdes Blancos, 2010], traduit de l'espagnol (Colombie) par Robert Amutio, éditions Noir sur Blanc, coll. Notabilia, 2013.                                                                                

vendredi 28 juin 2013

Pommes - Richard Milward (Asphalte/Points Seuil) : un régal !

Présentation de l'éditeur :

Adam aime Eve. Eve sait à peine qui est Adam. Adam tente de survivre aux raclées de son père en écoutant les Beatles. Eve s'oublie dans l'alcool, la drogue et le sexe sans plaisir.
Dans les quartiers ouvriers de Middlesbrough, au nord de l'Angleterre, l'expérience de la vie est souvent très violente. À quinze ans, Adam et Eve ne le savent que trop bien.
Ce ne sont pourtant que des enfants.

Né à Middlesbrough en 1984, Richard Milward a publié son premier roman, Pommes, à 22 ans. Depuis, il a étudié les Beaux-Arts à Londres.
Il peint, écrit et travaille à l'adaptation cinématographiques de Pommes.
Les éditions Asphalte viennent de publier (mars 2013) son second roman, Block Party (: un roman à dix étages).
> Entretien avec l'auteur sur le blog des éditions Asphalte
> Site de l'auteur : www.richardmilward.com 


Mon avis : Amour, amitié, drames, cancer, viol, apprentissage de la vie à la dure, sex, drugs & rock'n'roll...

Enorme coup de coeur pour ce premier roman du jeune Richard Milward, Pommes

Reçu avec le reste du "Manifeste des Enfants sauvages" publié par Points en début d'année - avec notamment la nouvelle traduction de Trainspotting de l'Ecossais Irvine Welsh -, je l'ai ouvert il y a quelques jours, par hasard, après avoir lu une chronique de Bloc Party : un roman à dix étages, le second, donc, publié chez Asphalte, de Richard Milward dont le nom m'avait alors dit quelque chose. 
Un coup d'oeil dans ma bibliothèque où j'avais placé les fameux bouquins, et j'en ressortais avec cette petite perle d'à peine 250 pages. 
Un grand roman pour un grand-huit émotionnel, bourré de vie, cru et très noir aussi. Pour le prix d'un paquet de cigarettes, vous allez vous aussi planer, traverser des bons délires, parfois des mauvais trips, mais c'est la vie qui est comme ça, avec ou sans drogue. Espoirs et désillusions, amours et déceptions, lassitudes et gros enthousiasmes, Pommes ne verse jamais ni dans le pathos ni dans l'insouciance stérile, sans pour autant être moralisateur.

Un régal, glacé et glaçant, et pourtant pétillant, plein de couleurs et de vie. Même si la mort plane et s'incarne dans quelques scènes particulièrement dramatiques - et tristes.
Car c'est aussi un condensé de toute la violence des rapports humains, amplifiés par l'alcool ou la drogue qui fait de ce texte plein de couleurs un chef d'oeuvre. Heureusement, l'auteur, comme il le révèle dans l'interview disponible sur le blog d'Asphalte, a voulu que son roman soit "atemporel" - le meilleur moyen, sur un tel sujet, d'en faire un livre intemporel, au vu du résultat foudroyant -, et si parfois ces jeunes envoient des messages ou sentent qu'on les appelle, Dieu merci ils n'ont pas internet, comme c'était le cas dans les années 1990.
Il n'est donc pas question de réseaux sociaux qui, par leur virtualité, n'auraient alors qu'apporté morts et suicides dans de tels cas. Comme c'est déjà trop souvent le cas aujourd'hui.

L'alternance du récit entre Eve avec Adam - chez lui dans sa chambre, puceau tabassé par son père qui n'a d'yeux que pour elle, la belle, toujours souriante et qui attire tous les beaux gosses et autres mecs plus vieux parmi lesquels elle pioche instinctivement au gré de ses sorties et de ses rencontres, alors que lui n'a encore rien expérimenté, si ce n'est la musique qui le fait vibrer et oublier ses TOC -, et le langage oral du texte hypnotise le lecteur dès la première page. 

La magie - noire et blanche - opère immédiatement.
Petit à petit, l'oiseau va sortir de son nid, et oubliera même les coups et autres virées à l'hôpital que peuvent engendrer la jalousie lorsqu'il parviendra ne serait-ce qu'à échanger deux phrases avec Eve. Mais le temps qu'elle le remarque, sa vie à elle continue, tandis que lui, transi d'amour, peut gamberger pendant des jours suite à un bisous sur la joue si c'est Eve qui le lui donne. 

Histoire d'amour aussi magnifique qu'elliptique qui n'est d'ailleurs pas sans me rappeler celle que l'enquêteur finit par ressentir à force de côtoyer Cassie Maddox dans le sublime premier roman de Tana French (Ecorces de sang). Mais là encore, et comme dans la vie, le lecteur devra accepter de ne pas toujours tout savoir des personnages, et de comment tout cela peut finir. 
Chez Milward, au bout des 245 pages, on voudrait le supplier pour qu'il écrive une suite. `Laissons plutôt les personnages de Pommes, que l'on aura connu durant une année environ et qui ont déjà tous grandis trop vite, tenter de vivre leur propre vie, enfin.
Qu'est ce que c'est bon, putain, de croquer ce roman ! 

À noter que, comme souvent pour les livres édités par Asphalte, une "Playlist" mixée par l'auteur est proposée : Beatles, Jefferson Airplanes, Laurent Garnier, Rolling Stones, et quelques autres feront une parfaite bande-son pour votre lecture !


Pommes, de Richard Milward [Apples, 2007], traduit de l'anglais par Audrey Coussy, Asphalte éditions 2010, Points Seuil 2013, 250 pages, 6,70euros.


jeudi 20 juin 2013

L'Invisible - Robert Pobi (Sonatine)... est sorti en poche chez POINTS

Présentation de l'éditeur :
Jake Cole, profiler hors-catégorie au FBI, revient dans la maison où il a grandi. Son père, artiste de génie à moitié fou, est mourant. Quand le shérif du coin lui demande de l'aider à résoudre un double meurtre, tout son passé ressurgit. Jake est convaincu que son père connaît l'identité de ce dépeceur fou. Et si la clé résidait dans ces milliers de tableaux peints par son père, qui semblent constituer un étrange puzzle ?

Voilà typiquement le genre de thrillers que j'évite précautionneusement d'acheter d'habitude. Parce que les présentations à la Sonatine qui ne peuvent s'empêcher à chaque nouveau roman de citer des grands classiques comme Thomas Harris et son Silence des Agneaux, en rajoutant en plus la référence à l'un de leurs premier polars qui a cartonné, je ne les supporte plus, notamment depuis que j'ai lu deux de leurs premiers romans publiés lors de leur lancement qui en réalité étaient corrects, mais sans plus.
Quant au "fameux" Les Visages de Jesse Kellerman, fils de Faye et Jonathan Kellerman, eux-même auteurs de polars publiés au Seuil, j'avoue ne pas avoir lu, même une fois reçu en poche, d'autant plus que son intrigue semble bien directement pompé sur l'excellent polar de l'Américain Greg Iles, La Femme au portrait ! Iles est un auteur malheureusement abandonné par les Presses de la Cité depuis le départ du regretté Renaud Bombard, et la sortie en 2010 de son (très bon, lui aussi) Poison conjugal, qui du coup est le seul à être encore disponible au catalogue des Presses de la Cité, alors que tous ses précédents romans - y compris ses meilleurs comme Passion mortelle ou La mémoire du sang - sont depuis déjà un bon moment introuvables, cet éditeur ayant l'insupportable défaut de ne même pas entretenir son catalogue lorsque des romans comme ceux de Iles, même s'ils ne se vendent que correctement et se révèlent n'être avant tout que des "long-sellers". L'auteur estt encore malheureusement encore quasi-inconnu du public français alors qu'il rencontre un large succès aux USA, même s'il a réussi dès le premier coup à fidéliser un  petit cercle de lecteurs dont je fais partie. Sinon, ses romans, publiés il n'y a pourtant pas si longtemps que ça, ne seraient pas tous en rupture de stock, par exemple, en comparaison de tant d'autres ! Seuls La femme au portrait est peut-être encore disponible en Livre de poche, avec Une petite ville sans histoire paru heureusement à l'automne dernier chez Points et que, même si ce n'est pas son meilleur, j'avais pourtant beaucoup aimé aussi. Il faut dire que, comme John Katzenbach, il sait se renouveler à chaque nouveau polar, ce qui n'est pas si courant...

Mais pour revenir au Canadien Robert Pobi, j'avoue que si je viens de recevoir ce roman après avoir eu finalement envie de le lire, c'est grâce au blog de Plume de cajou et au concours qu'elle a organisé en partenariat avec les éditions Point ! Et à un petit coup de chance inespéré pour ma part !...
Donc, en attendant de vous en dire plus moi-même dès que j'aurai le temps de le lire, je ne peux que vous conseiller vivement de vous reporter à la brillante chronique qu'elle a faite de L'Invisible. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Plume de cajou a un enthousiasme communicatif, lorsqu'elle a un coup de coeur !
Merci encore à elle et à Point.

# blog de www.plumedecajou.com
# site de l'éditeur : www.lecerclepoints.com



L'Invisible, Robert Pobi (Bloodman, 2011), traduction de l'anglais (Canada) de Fabrice Pointeau, Sonatine 2012; Points, coll. Thrilller, 2013.

dimanche 12 mai 2013

« Une semaine en enfer » de Matthew F. Jones, une pépite noire d'une beauté à couper le souffle.

Présentation de l'éditeur :
Abandonné par sa femme et leur jeune fils, John Moon vit dans une misérable caravane en
Un jour, il part braconner et, croyant tirer sur un daim qui s'enfuit à travers les bois, il abat une jeune fille. C'est sa première faute, les autres suivront...
Pourtant, cette fois-ci, John ne se laissera pas faire. Il se lance dans une fuite en avant désespérée, bien décidé à prouver à tous qu'il peut s'en sortir.
Mais depuis quand les losers auraient-ils une seconde chance?
lisière de la forêt, désabusé et aigri : son père, ruiné, a vendu la ferme, et depuis John survit de petit boulot en petit boulot.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pascale Haas.

L'auteur
Matthew F Jones vit à Charlottesville en Virginie. Il a écrit de nombreux romans noirs, ainsi que des scénarios de films. Une semaine en enfer est en cours d'adaptation au cinéma.
 Pourquoi faut-il le lire ?

Parce qu'il s'agit en plus du premier roman de Matthew F. Jones, publié intialement aux States en 1996, par Mulholland Books - un "département" de Little, Brown and Company (Michael Connelly, Walter Mosley, Georges Pelecanos, et bien d'autres très grands...), qui plus est -, et parce qu'il nous aura donc fallu, à nous autres pauvres lecteurs français et francophiles, attendre pas moins de 17 ans pour pouvoir le découvrir !... Le temps que Béatrice Duval le sélectionne pour faire partie, avec Des Nœuds d'acier de Sandrine Collette, des deux romans soigneusement choisis pour inaugurer, en tout début d'année 2013, la résurrection inespérée de la fameuse collection Sueurs froides des éditions Denoël.

Ce que j'en pense:  Nerveuse et sauvage, une sombre tragédie, d'une beauté à couper le souffle.
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Que ce soit le titre, en VO - « A single shot » - ou en français, Jones aura alors, dès 1996, dévoilé toute l'ampleur de son talent. Un peu à la manière aujourd'hui d'un Donald Ray Pollock ( « Knockemstiff » ou « Le Diable, tout le temps » ), d'un Frank Bill ( « Chiennes de vies » ) ou d'un Kevin Powers ( «Yellow birds »), et mis à part que les deux premiers auront débuté par un recueil de nouvelles
 Mais d'emblée avec ce roman, on ne peut d'ailleurs s'empêcher de penser aussi à David Vann et à « Sukkwan Island » en priorité.

Car John Moon - dont le début de vie en tant qu'adulte avait alors toujours reposé sur son son père - a désormais tout perdu.
Ainsi, il vivote maintenant au jour le jour grâce au braconnage, vit dans une pauvre caravane accrochée au maigre lopin de terre qui lui reste de son paternel; celle-ci ayant été vendue il y a déjà fort longtemps à un banquier du coin qui était alors venu réclamer au père de Moon l'argent que sa banque lui avait prêté. Ruiné, acculé, celui-ci n'avait pu que vendre à regret cette terre, celle qui les avait toujours nourris, lui et sa petite famille : lui, le père, sa femme, et son gosse John.
C'est pourquoi, aujourd'hui, John Moon non seulement vit dans ces conditions misérables au sein d'un paysage pourtant magnifique, et avec un voisin qui lui propose même un job pour au moins tenter de se "fixer" durablement, mais il doit également subir le départ de sa femme. Laquelle est partie se réfugier dans un petit appartement, vivotant grâce à un job de serveuse dans le snack du coin, mais emmenant avec elle la prunelle des yeux de John : son fils.
Malgré cela, John survit. C'est un battant, et s'il parvient à survivre, c'est avant tout parce qu'il vit au jour le jour, certes, mais aussi parce qu'il a des valeurs, des valeurs d'homme. Il ne baisse jamais les bras, même aux pires moments, même lorsqu'il ne semble y avoir plus aucun espoir. Car si tout le monde voit en John Moon un loser, tous se trompent.
Car contrairement à ce que pourrait faire penser l'accroche un peu éculée de quatrième de couverture -
Lui a un fils et y tient plus que tout au monde. Il ferait tout, n'importe quoi, pour que celui-ci ne manque jamais de l'appui de son père.
Tout comme John, mis à part que lui, plus jeune, a pu voir le sien mourir à petits feux des suites d'une grave maladie, laquelle aura non seulement emporté son père, mais l'aura aussi privé de tout futur possible, et même, visiblement, de tout bonheur possible.
« Il lui dit que, à son âge, son seul projet était d'épouser la fille qu'il aimait, de la ramener à la ferme familiale, d'être le meilleur paysan possible et d'élever ses enfants pour qu'ils en fassent autant, et que le fait que son père ait tout perdu quand il avait seize ans l'a laissé aussi handicapé que s'il avait eu un accident de voiture et perdu l'usage de ses jambes. »

Alors ce matin-là, lorsque John part braconner un cerf qui le nargue maintenant depuis des jours, représentant la viande, malheureusement chère, dont son fils a besoin pour bien se nourrir et ainsi ne manquer de rien, tout bascule. La pauvre petite vie minable de John trébuche.

Car dès lors qu'il tire par mégarde sur cette fille, croyant enfin abattre ce cerf qu'il pourchasse depuis des heures, il se rend compte, petit à petit, que c'est bel et bien une vie qu'il vient d'ôter. La vie d'une toute jeune ado qui, malgré ses propres difficultés, aurait pourtant pu grandir, mûrir, devenir une jeune femme séduisante, une mère. Et une femme aussi. Peut-être pas celle de son fils, ni même la sienne, puisqu'il compte bien tout faire pour tenter d'annuler son propre divorce, mais John comprend très vite qu'il vient de commettre l'irréparable. Par erreur. Une simple, une seule erreur.
Mais qui risque bien de l'entraîner, en à peine quelques jours, et s'il ne se bat pas de toutes ses forces, en prison.
Là où plus jamais il ne pourra voir son fils. Là où plus jamais son ex-femme ne voudra ne serait-ce que lui rendre visite. La prison, l'enfer.

Je ne suis certainement pas prêt d'oublier John Moon, ni d'ailleurs ce magnifique mais terriblement sombre
roman.
D'une beauté fraîche et éclatante qui, peu à peu, s'assombrit de plus en plus tandis que le récit déroule peu à peu un piège implacable qui se resserrera lentement autour de la gorge nouée de son magnifique personnage principal, ce premier coup d'éclat de Matthew F. Jones donne terriblement envie de pouvoir lire un jour ce qu'il a écrit par la suite - c'est-à-dire depuis maintenant près de dix-sept ans...
 Pas étonnant d'apprendre finalement qu'Une semaine en enfer est déjà en cours d'adaptation pour le cinéma.
Ou quand le cinéma permet aussi de redonner une seconde vie à une oeuvre littéraire oubliée depuis un peu trop longtemps...
Espérons seulement que le metteur en scène et que la production suivent. Non pas forcément pour en faire un « blockbuster », mais au moins pour que toute la beauté et le lyrisme de l'écriture impressionniste de Jones puisse être retranscrite à l'écran.
Car Matthew F. Jones, justement, dans la pure veine de ce qu'on appelle aujourd'hui le "nature writing", y dépeint une nature à la fois si belle et magnifique, mais aussi si libre et sauvage, qu'elle en finit par en être également oppressante, voire même menaçante tant elle est également omniprésente au fur et à mesure que se déroule implacablement ce récit, dont elle est, justement et plus que jamais, un personnage à part entière.

Or, avec l'auteur, et pendant que Moon se débat pour survivre malgré la simple mais pourtant terrible erreur qu'il vient de commettre involontairement, chaque plante, chaque arbre, chaque oiseau ou chaque animal a un nom bien précis.
D'où précisément cette sensation progressive de déséquilibre, de trop-plein, parfaitement à l'image de ce que finit par ressentir John, justement.Sans même compter cette macabre atmosphère de putréfaction qui se développe au fur et à mesure que ce noir récit se déroule, implacablement.

Un mélange à la fois fort, puissant, entêtant, dérangeant même, comme peut l'être ce polar implacable, qui fleure bon la terre, le tourbe, la sueur de l'homme au coeur des grands, sauvages et si beaux espaces américains.
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PS : Je tiens tout particulièrement à remercier chaleureusement à la fois Babelio et les éditions Denoël de m'avoir permis, dans le cadre de cette opération Masse Critique,  de découvrir ce petit bijou de littérature noire.




« Une semaine en enfer » de Matthew F. Jones (A single shot), Denoël, coll. Sueurs froides, 2013.