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lundi 23 septembre 2013

Manuel de survie à l'usage des incapables - Thomas Gunzig (Au Diable Vauvert)

Présentation de l'éditeur

Avec ce troisième roman, placé sous l'exergue d’une citation d’Arnold Schwarzenegger, c’est le supermarché, dernier temple du monde moderne, qui a inspiré à Thomas Gunzig son humour ravageur et son sens de l’aventure.
C’est en tout cas le lieu où convergent et se croisent les destins des héros involontaires. Un jeune employé, un assistant au rayon primeur, un baleinier compatissant et quatre frères, Blanc, Brun, Gris et Noir, jeunes loups aux dents longues surentraînés et prêts à tout, vont ainsi se retrouver liés par la conjonction fortuite d’un attentat frauduleux et du licenciement abusif d’une caissière.

Source : www.audiable.com



Mon avis : Intelligent et follement original, un roman explosif et génétiquement modifié !


Amis lecteurs, tout d'abord, en cette rentrée littéraire, lorsque vous serez amenés, ici ou en librairie, à lire le titre de ce nouveau roman de Thomas Gunzig, bannissez immédiatement et implacablement tout sentiment négatif à son égard : scepticisme, snobisme, désintérêt ou impression de déjà lu.

Car derrière celui-ci se cache l'une des pépites de la rentrée, mais l'une de celles qui, paradoxalement, risque de n'être jamais mentionnées par la critique littéraire.

Phénomène d'ailleurs doublement étrange si vous vous êtes aperçus comme moi que ladite critique avait tendance cette année à vouloir vous vendre un petit groupe d'écrivains estampillés « contestataires », « rebelles » ou, plus généralement, censés avoir « pris à bras-le-corps la réalité de la contestation sociale » dans leurs livres.

Si je vous dis tout cela en préambule, c'est parce que s'il y a bien un auteur qui en cette rentrée propose une vision acérée et (extra-)lucide sur notre société, c'est bien Thomas Gunzig !
Mais rassurez-vous, il n'est pas pour autant question de sombrer dans un intellectualisme ronflant ni même d'être trop sérieux. L'auteur n'a pas l'intention de vous asséner une quelconque leçon; non, son but principal reste heureusement le plaisir de lecture pour ses lecteurs.

D'où un roman totalement inclassable, délicieusement intelligent et ô combien mouvementé !
Cocktail unique et explosif de roman noir, de récit d'anticipation, d'humour caustique, ce Manuel de survie à l'usage des incapables est une radiographie d'une lucidité terrifiante de notre société marchande, capitaliste et mondialisée. À travers le braquage d'un hypermarché devenu centre du monde et microcosme où travaillent, consomment et se croisent tout le « matériel humain » en âge de travailler de la ville, et une histoire de vengeance qui se transforme en course-poursuite, l'auteur met en scène des personnages que l'on croyait monstrueux parce que rendus à l'état d'animaux sauvages - des loups ! - et d'autres qui, bien qu'humains, finissent par se comporter en robots sans conscience à force de résignations, d'obéissance, de renoncements.

Tous vont pourtant devoir affronter un ou des éléments déstabilisateurs, qui vont les transformer. Certains, vont ainsi pour retrouver le goût de vivre, le désir voire l'amour, d'autres verront leur autorité dans le groupe au sein duquel ils vivaient s'effondrer, mais tous, étrangement ne regretteront rien...

Laissez-vous embarquer dans ce roman vivifiant et enthousiasmant de Thomas Gunzig, vous serez séduits dès le premier chapitre, décontenancés aussi, mais à l'image des personnages, il est plus que probable que vous non plus ne regrettiez pas, au final, cette odyssée chaotique et loufoque.

Un roman inclassable, intelligent et follement original qui fait du bien, en cette rentrée littéraire.
D'autant plus que sous sa fausse légèreté, ce Manuel indispensable sera probablement une belle source de réflexions...

Je remercie tout particulièrement Babélio et les éditions Au Diable Vauvert de m'avoir fait découvrir ce roman dans le cadre de l'opération Masse critique.



Manuel de survie à l'usage des incapables, de Thomas Gunzig, ed. Au Diable Vauvert, 2013.

dimanche 28 juillet 2013

Chronique : On the Brinks - Sam Millar (Seuil)

> Sélection 2013, année irlandaise

> Coup de coeur 

> Partie 1/2 : Présentation

> Partie 2/2 :Chronique

 Présentation de l'éditeur (rappel)

De fait, le spectaculaire récit autobiographique de Sam Millar a tout d’un thriller. À ceci près que si on lisait pareilles choses dans un roman, on les trouverait bien peu crédibles.
Catholique, Millar combat avec l’IRA et se retrouve à Long Kesh, la prison d’Irlande du Nord où les Anglais brutalisent leurs prisonniers. Indomptable, il survit sans trahir les siens: voilà pour la partie la plus noire, écrite avec fureur et un humour constant.
Réfugié aux états-Unis après sa libération, il conçoit ce qui deviendra le 5e casse le plus important de l’histoire américaine. La manière dont il dévalise le dépôt de la Brinks à Rochester, avec un copain irlandais, des flingues en plastique et une fourgonnette pourrie, est à ne pas croire. Même Dortmunder, dans un roman de Westlake, s’y prendrait mieux. Il n’empêche, le butin dépasse les 7 millions de dollars!
Un procès et une condamnation plus tard, il retrouve la liberté, mais entretemps, la plus grande partie de l’argent a disparu. Millar semble avoir été roulé par ses complices… Saura-t-on jamais la vérité?
En tout cas, le FBI cherche toujours!

Né à Belfast en 1958, Sam Millar a fait de la prison en Irlande du Nord comme activiste politique, et aux États-Unis comme droit commun. De retour à Belfast où il vit toujours, il est devenu écrivain. Après deux romans, Poussière tu seras et Redemption Factory, et le best-seller international On the Brinks, il a commencé la série policière Karl Kane, à paraître au Seuil.

Traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal

source : www.seuil.com
 

Mon avis : le stupéfiant thriller autobiographique de l'Irlandais Sam Millar, une vraie bombe littéraire ! Où quand la réalité dépasse la fiction, et de loin...

À l'heure où la grande tendance actuelle dans les "prestigieux" milieux littéraires internationaux, et bien sûr américains avant tout, est à la creative non-fiction, à la littérature-reportage et que j'imagine que nombre d'ateliers d'écriture doivent plancher dur sur ce nouveau phénomène, Sam Millar les aura tous devancé, j'imagine sans même s'en rendre compte ou s'en soucier, lorsqu'il a entrepris d'écrire On the Brinks.
Pourtant, j'imagine à quel point la rédaction de ce livre a du être dure pour lui qui aura non seulement vécu l'impensable, l'incroyable, et à plusieurs reprises en plus, mais qui y aura aussi et surtout survécu pour pouvoir enfin retourner vivre avec sa famille dans son pays, l'Irlande du Nord. Et à ce moment-là, devenir rapidement un grand écrivain. On the Brinks en témoigne définitivement.

Après un prologue éblouissant et digne d'une scène hollywoodienne, son récit est découpé en deux grandes parties, elle-mêmes rythmées de chapitres courts qui, introduits ou illustrés chacun par une ou deux exergues d'un à-propos emblématique de la puissance et de la clarté de l'homme et de son écriture, témoignent tous de scènes mémorables.
La première partie est consacrée à sa vie à Belfast, dans une Irlande du Nord catholique soumise, assiégée et occupée par un empire britannique et protestant d'une cruauté implacable, bien décidé à pulvériser cet îlot de résistance, cette grande nation irlandaise qui reste chevillée au coeur de ses habitants du Nord. Le tout jeune Sam Millar, qui souffre de l'absence de son père mais aussi de la dérive psychologique de sa mère, pour qui la vie quotidienne et misérable de l'époque est devenue insupportable, en garde des visions orwelliennes lorsqu'il réalise à quel point lui et ses semblables, en plus de vivre dans une pauvreté extrême, sont considérés comme de minuscules fourmis à écraser par l'ennemi. Quelques années plus tard, tout content d'être amené par son frère dans sa  voiture à la manifestation pacifique pour les droits civiques, il voit alors de ses propres yeux le sang innocent couler à flot. Le sien ne fait qu'un tour et il s'engagera alors dans le militantisme nationaliste.

« Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était Derry, mais ça sonnait de façon magique.(...)Nous étions le 30 janvier 1972 et personne n'imaginait le terrible cauchemar qui nous attendait. C'est devenu le moment phare de ma vie, un baptême du feu dans le monde réel d'un nationaliste en Irlande du Nord. »
« Mon père pleurait presque quand nous sommes rentrés et qu'il nous annonça la terrible nouvelle : "Les Anglais ont assassiné 13 personnes innocentes. J'ai cru que vous étiez parmi eux." Mon frère ne disait rien. Son silence parlait pour lui : pas question qu'ils s'en sortent comme ça. Le monde ferait triompher la justice. Nous étions vraiment d'une naïveté risible à l'époque. »

D'ailleurs, en enchainant par la suite quelques petits boulots, dont un dans un abattoir alors qu'il aime tant les animaux et qu'il quittera au bout de quelques jours, Millar, avec son écriture rageuse, sèche et tranchante aigusera une description apocalyptique du quotidien dans un abattoir et en fera une métaphore parfaite du Système qui broie alors les catholiques d'Irlande du Nord.
Mais grâce à son récit parfaitement construit et à son art de manier l'ellipse, si l'on n'a pas les détails de son engagement à l'IRA, c'est suite à un procès inique et là encore perdu d'avance que Millar plonge alors directement, mais en croyant encore naïvement être libéré au bout de quelques mois seulement, dans l'enfer sur terre qu'il a vécu durant les huit années d'enfermement, de survie, de tortures physiques et psychologiques quotidiennes à la prison de haute sécurité de Long Kesh. Il fera partie des Blanket Men, ceux qui refusent d'endosser l'uniforme du prisonnier et sont donc obligés de (sur)vivre nus, couverts d'une seule couverture miteuse et puante.
Seule son incroyable force morale le sauvera de la mort à tant de reprises, lui et quelques uns de ses compagnons de lutte et de cellules qui ne lâcheront rien et continueront à ne pas se soumettre au Système.

Après cette première partie dramatique et poignante, justement parce que dépourvu du moindre pathos, et qui permettra en plus à n'importe quel lecteur d'apprendre ce qui a pu se passer il n'y pas si longtemps en Irlande et pourquoi - sans non plus tomber dans les descriptions historiques ou politiques difficiles à saisir et qui plombent parfois d'autres romans consacrés à cette période irlandaise - la seconde est, elle, beaucoup plus légère.
L'humour à froid dont Sam Millar ne se départit jamais et qui fait partie intégrante de sa plume fonctionne ici à merveille. L'Irlandais se révèle même être un dialoguiste particulièrement talentueux, parvenant à brosser les portraits irrésistibles de personnages secondaires qui font mouche et fonctionnent avec une rare efficacité.
Je ne suis pas prêt d'oublier le père de son patron quand il a été croupier dans un casino clandestin, par exemple !
En réalité, tout au long de cette seconde partie d'On the Brinks, le lecteur tourne les pages compulsivement, estomaqué par un récit plein de surprises, parfois traversé de passages poétiques ou d'un brin de nostalgie quand on constate à quel point Sam a toujours aimé les comic books. Et cette irrésistible fraîcheur, cette légèreté dont fait preuve à tout moment Millar après avoir vécu le pire à Long Kesh, les nombreuses trahisons et désillusions de l"époque, ce mélange unique entre un homme revenu de tout et qui, malgré tout, a su garder une petite part de naïveté et conserver encore aujourd'hui un peu de son âme d'enfant, tout cela illumine définitivement tout le reste d'On the Brinks. La preuve : il garde même des révélations jusqu'à l'avant-dernier paragraphe de son épilogue, quel sale gosse ce Sam Millar !

On the Brinks est LA pépite de l'année. Ou, plus exactement, ce livre est grand, tout simplement, parce que son auteur n'est pas qu'un sacrément bon écrivain. Sam Millar est un grand homme, un homme profondément bon. La lecture d'On the Brinks a confirmé de manière éblouissante ce que j'avais pressenti lorsque j'ai eu la chance de le rencontrer en mars dernier à Lyon, à l'occasion des Quais du Polar 2013.

À l'image des héros qui le fascinaient tant, gamin, dans les comics qu'il dévorait chaque fois qu'il pouvait s'en procurer un, Millar est pour l'Irlande du Nord, c'est-à-dire pour toute la grande nation irlandaise, l'un de ses héros, sans qui elle n'existerait vraisemblablement plus aujourd'hui.

Si vous n'avez qu'un livre à lire cette année, lisez sans hésiter On the Brinks. Vous ne serez pas déçus !


 Sam Millar, par son engagement et son combat exemplaire, fait partie de ces Âmes qui brûlent et dont chaque nation a tant besoin pour pouvoir survivre par les temps périlleux qui couvent.
(Photo : http://leblogdupolar.com/)



On the Brinks, de Sam Millar [On the Brinks, the extended edition, 2009], traduit de l'anglais (Irlande) par Patrick Raynal, Editions du Seuil, coll. Seuil Policiers, 2013.